La puissance étonnamment rassembleuse d’un mot, d’une lettre, d’une initiale…
par Gabrielle Lalonde
E.B.
Émile Bouchard.
Élise Bouchard. Élise Bertrand.
Éloïc Bertrand. Éloïc Bellemare. Edgard Bellemare. Edgard Berthiaume.
Le meilleur président dans l’histoire du conseil municipal de Boucherville possédait un vieux bureau qui avait beaucoup de vécu. Monsieur Berthiaume était un homme impliqué et surtout travaillant. Il passait la majeure partie de son temps à travailler, au péril de sa vie personnelle. Même si cela fait maintenant trois ans qu’il nous a quittés, son nom est partout. Son bureau est toujours intact, gardant l’enseigne Edgard Berthiaume sur la porte. Son chevalet fut conservé et un banc de parc fut nommé à son nom : « E. B. » est inscrit sur le rebord du meuble en bois. Comme si absolument chaque habitant, chaque touriste et chaque génération à venir allaient savoir sans hésitation qui est « E. B. ». Monsieur Berthiaume fut un grand et honorable homme qui a tout fait pour sa ville et nous en sommes tous très reconnaissants, mais Boucherville est un point minuscule dans le monde entier et n’est certainement pas le seul endroit où un E. B. a laissé sa marque.
Banc de parc. Parc. Jardin. Fleurs. Bouquet de fleurs. Bouquet de roses. Rose. Rouge. Jaune. Tournesol jaune.
Comme chaque lundi, Madame Boucher cueille des tournesols et les apporte lorsqu’elle vient offrir de son temps à la maison des aînés de son quartier. Cette femme bien nantie, qui a le cœur à la bonne place, s’implique pour sa communauté depuis maintenant plusieurs années. Personne ne se souvient quand et comment elle est arrivée, mais tous savent qui est Édith Boucher. Mère de cinq enfants, chaque printemps, elle s’assure de bien identifier les effets scolaires de toute sa famille. Pour se simplifier la vie, elle écrit « E. B. » sur tout, car de cette manière, elle est certaine que les objets perdus vont lui être retournés. Une fois la rentrée scolaire passée et l’étiquetage d’une centaine d’articles terminés (c’est long pour un enfant, imaginez le faire pour cinq), elle trouve le temps de faire des collectes de fonds pour leur école primaire. Elle a amassé plus de 5 000 $ l’an dernier lors d’une marche de 5 km. Elle a même fait construire un parc muni de structures de jeux pour les enfants du quartier. Cette mère au foyer a plus d’un tour dans son sac et ne cessera d’épater sa communauté.
Édith Boucher. Émilie Boucher. Émilie Brodeur. Emmanuel Brodeur. Elliot Brodeur. Elliot Bolduc.
« Elliot Bolduc, vous êtes renvoyé. » Phrase qui malheureusement est très célèbre dans le parcours professionnel de notre cher Elliot. Un jeune homme bien ordinaire, quoique très malchanceux. Du haut de ses 31 ans, avec sous sa responsabilité quatre enfants de trois mères différentes, il n’a jamais conservé un travail pour plus de six mois consécutifs. Il cherche à corps perdu un bon emploi stable qui lui permettra de bien s’occuper de sa famille. En se rendant à une entrevue, il voit une femme en plein argument sur le bord de la route avec son chauffeur. L’homme lance les clés de voiture à la femme et quitte à pied, la laissant seule au beau milieu de la ville. Elliot saisit l’occasion pour lui proposer ses services qu’elle s’empresse de refuser. C’est avec beaucoup de déception et une once d’espoir qu’il lui donne ses coordonnées et reprend la route vers le lieu de l’entrevue. Les jours passent sans aucune nouvelle, le frigo se vide et son ventre aussi. Il reçoit finalement un appel d’une certaine Mme Boucher l’informant qu’il est attendu le lendemain pour un essai, en tant que chauffeur privé pour sa famille. Le matin suivant, Elliot se rend à l’endroit convenu sans savoir qu’il s’y rendrait pour les mois à venir. Elliot trouve enfin ce sentiment d’appartenance tant désiré. Il se fît offrir, en guise de reconnaissance, un porte-clés portant l’inscription « E. B. ». C’est la première fois de sa vie qu’on ne lui montre pas la porte, Elliot termine sa journée de travail, son trophée en main, sachant très bien qu’il sera le bienvenu demain et pour tous les jours qui suivent.
Porte. Porte-clés. Clé de voiture. Voiture de luxe. Voiture jaune. Autobus jaune. École primaire. Classe. Tableau. Craie blanche. Bleu. Rouge. Pomme rouge.
C’est sur le coin gauche d’un bureau de bois, juste à côté d’une tasse portant les initiales « E. B. », que règne une belle pomme rouge. Un fruit qui fut un cadeau, un cadeau bien mérité pour une femme persévérante. C’est dans la classe de Madame B. que 17 enfants de huit ans passent toutes leurs journées à apprendre et à rêver. Madame Bergeron, Émilie de son prénom, travaille d’arrache-pied dans notre système d’éducation depuis maintenant 34 ans. Elle profite de chaque instant, mais compte les jours restants d’ici sa retraite bien méritée. Madame B. est épuisée, mais tout de même passionnée. Les murs de la classe de Émilie Bergeron débordent de projets artistiques et de photographies de son groupe d’élèves au concours de science ou en combat de mathématique. Madame B. aime enseigner, mais surtout, elle aime la compagnie de ces jeunes enfants. Elle s’assoit parmi ses élèves et se permet de s’envoler dans un passé lointain où elle n’était, elle aussi, qu’une jeune fille, une jeune femme, qui n’avait peur de rien ni personne.
Madame Bergeron. Émilie Bergeron. Émilie Bérard. Élise Bérard. Élise Bégin. Élise Bertrand.
« Mademoiselle Élise Bertrand, revenez ici tout de suite ! » Les paroles pleines d’agacement et de découragement prononcées tous les jours à l’école catholique Saint-Émile de Boucherville où une jeune fille, qui n’a peur de rien ni personne, se permet d’envoyer promener sans aucune retenue son directeur d’école. Élise n’aime pas les règles sans fondement. Elle comprend les aspects positifs de l’uniforme scolaire, tels que l’égalité, le sentiment d’appartenance, l’efficacité de distinction entre un étudiant et un visiteur… Mais ce qui, selon elle, est inacceptable est l’obligation pour les filles de porter une jupe. Pourquoi ne pourrait-elle pas porter des pantalons ? Elle finit par prendre la situation entre ses mains et décide de se fabriquer une paire de pantalons à l’aide de ses jupes. Elle est consciente qu’elle devra alors s’engager à laver son unique paire de pantalons régulièrement, mais ça en vaut la peine. Elle prend soigneusement le temps de coudre ses initiales « E. B. » sur les poches arrière de son nouvel uniforme. Élise Bertrand ne recule devant rien, elle signe sans hésitation le symbole de ses convictions, sachant très bien que cet acte insolent lui offrira un mois de suspension.
Jupe. Pantalon. Bas de nylon. Chemise. Polo. Cravate. Nœud papillon. Sarrau. Veste pare-balles. Casque. Chapeau. Toque. Tablier. Tablier blanc.
Emilio Brodeur est un jeune chef cuisinier du restaurant du coin. Il y travaille depuis maintenant plusieurs années, mais tente tant bien que mal de partager son côté créatif. À chaque rencontre d’équipe, il propose de faire des modifications ou d’intégrer de nouveaux plats, sans succès. Il souhaite depuis toujours pouvoir faire son propre menu, à l’aide d’aliments locaux. Il rêve d’un menu qui surprend ses clients. Il se meurt d’ennui dans ce livret redondant qui lui donne le tournis depuis maintenant sept ans. Un soir, après une longue journée, remplie de spaghetti à la bolognaise et de linguine aux fruits de mer, il décide de laisser tomber le tablier blanc qui l’emprisonne dans cet univers sans avancement. Ce tablier impersonnel se fera vite remplacer par un morceau de tissu de première qualité s’agrippant à lui à l’aide de courroies en cuir portant fièrement ses initiales « E. B. ». Emilio Brodeur est désormais propriétaire de son propre restaurant où sa créativité peut exister librement. Il se promet d’être à l’écoute de son équipe et surtout de ne jamais offrir le même plat deux mois de suite.
Tablier blanc. Tablier bleu. Bleu, blanc, rouge. Canadiens de Montréal. Équipe de hockey. Capitaine d’une équipe de hockey. Joueur de hockey. Chandail de hockey. Coupe Stanley.
C’est lors de la finale de la saison que le joueur numéro 3 a marqué un but contre toute attente, il a quitté son poste de défenseur pour aller déjouer le gardien. C’est ce soir-là que le capitaine de l’équipe se fît offrir la rondelle de match avec ses initiales gravées « E. B. ». Souvenir d’un temps heureux et d’une époque remplie de succès qu’il conservera et transmettra à ses enfants et eux à leurs enfants. Que ce soit sur la glace ou hors glace, M. Bouchard fût un être extraordinaire, un pilier pour son équipe et son entourage. Ayant gagné quatre Coupes Stanley, Butch Bouchard a mérité son titre du meilleur défenseur jamais vu dans l’équipe des Canadiens de Montréal. Son chandail a officiellement été retiré et figure maintenant parmi les grands joueurs du Canadien ; il affiche fièrement les couleurs tricolores et son nom.
Butch Bouchard. Émile Butch Bouchard.
Émile Joseph Bouchard.
Émile Bouchard.
E.B.